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Responsabilité des exploitants ferroviaires et faute grave du piéton

Responsabilité des exploitants ferroviaires et faute grave du piéton

L’Arrêt du Tribunal Fédéral 148 III 343 apporte un éclairage significatif sur les limites de la responsabilité des exploitants ferroviaires face à la faute grave des victimes. Cette décision impacte l’interprétation des articles 40b et 40c de la loi sur la circulation des chemins de fer (LCdF), et soulève des enjeux cruciaux pour les victimes et les exploitants.

En février 2019, un piéton a été grièvement blessé lors d’une collision avec un tram exploité par la ville de A. La victime a intenté une action en justice, réclamant 30'000 CHF pour tort moral en vertu de l’article 40b LCdF. Ce régime impose une responsabilité causale aggravée (responsabilité pour le risque créé du simple fait de l’existence ou de l’emploi) aux exploitants ferroviaires. Cependant, le Tribunal fédéral a admis le recours de la ville, en retenant une exonération basée sur la faute grave du piéton.

Le comportement de la victime a été analysé selon l’article 40c LCdF, qui permet d’écarter la responsabilité de l’exploitant en cas de force majeure ou de faute grave de la victime. Le Tribunal fédéral a retenu que le piéton, distrait par son téléphone portable et ne respectant pas les règles de circulation, avait adopté un comportement imprudent. Cette faute grave, suffisante pour justifier une exonération, a été évaluée en lien avec des circonstances spécifiques en lien avec la configuration des lieux, les conditions de circulation et la situation de la victime.

Des précédents comme l’ATF 143 II 661 et l’ATF 57 II 585 avaient déjà retenu que la gravité de la faute de la victime peut permettre l’exonération dans un régime de responsabilité causale aggravée.

En revanche, dans l’ATF 131 III 667, le Tribunal Fédéral avait retenu que le comportement d’un piéton qui zigzaguait et s’arrêtait soudainement et sans raison sur les rails n’était pas un comportement inconcevable justifiant une exonération de responsabilité.

L’ATF 148 III 343 réaffirme que l’exonération repose sur une évaluation objective de la gravité de la faute et des risques spécifiques liés à l’exploitation ferroviaire, et non sur une appréciation subjective. En conséquence, la responsabilité des exploitants n’est pas absolue. Une faute grave, clairement démontrée, peut justifier une exonération complète.

Cet Arrêt affaiblit les avantages traditionnels de la responsabilité causale aggravée pour les victimes. Elle ouvre une marge de manœuvre pour les exploitants ferroviaires et impose aux victimes une diligence accrue pour éviter que leur propre comportement puisse être qualifié de gravement fautif. Ce cadre juridique soulève ainsi une question essentielle : l’équilibre entre la protection des piétons et la limitation des risques pour les exploitants est-il encore adapté aux exigences actuelles ?

Rédigé par Me Renato CAJAS

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