Assistance administrative internationale en matière fiscale (TF, 2C_219/2022)
En 2018, l’autorité fiscale de la Fédération de Russie adresse à l’Administration fédérale des contributions (AFC) une requête d’assistance administrative internationale en matière fiscale. Elle cherche à obtenir des informations concernant une entreprise russe ayant versé des dividendes à travers trois comptes bancaires helvétiques appartenant à des sociétés chypriotes. L’AFC accède à la demande en 2019, décision confirmée par le Tribunal administratif fédéral puis portée devant le Tribunal fédéral (TF).
Entre-temps, le contexte géopolitique se détériore fortement : à la suite de l’invasion de l’Ukraine, la Russie cesse notamment d’être liée à la CEDH et est suspendue du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Dans ce contexte, le Conseil fédéral décide, en septembre 2022, de suspendre temporairement toute assistance administrative envers la Russie. Cette décision n’a pas pour conséquence que le TF doive automatiquement refuser d’accorder l’assistance requise avant cette date.
La convention de double imposition entre la Suisse et la Russie prévoit l’échange d’informations susceptibles d’être pertinentes pour son application. Cet échange est soumis au principe de spécialité et à une réserve d’ordre public : les données transmises ne peuvent être utilisées qu’à des fins fiscales, et la coopération peut être refusée si elle heurte de manière intolérable le sentiment du droit en Suisse.
Le TF considère que, dans les circonstances actuelles, la transmission d’informations fiscales à la Russie est problématique : les garanties fondamentales de respect des droits humains ne sont plus assurées. Il existe un risque tangible de détournement de l’usage des données transmises, en violation du principe de spécialité. Le rejet de la demande d’assistance apparaît ainsi nécessaire pour préserver l’ordre public suisse.
Le Tribunal exclut une suspension prolongée de la procédure. Une mise en attente indéfinie contreviendrait aux principes constitutionnels de célérité (art. 29 al. 1 Cst.) et de diligence (art. 4 al. 2 LAAF). Vu l’absence de perspective de résolution rapide du conflit russo-ukrainien, il convient de rejeter la demande d’assistance tout en laissant la porte ouverte à une nouvelle demande en temps opportun, dès lors qu’une telle décision ne possède pas l’autorité de la chose jugée.
Cette décision s’écarte d’autres précédents récents dans le domaine de l’entraide pénale, où le Tribunal fédéral avait opté pour une suspension plutôt qu’un rejet. La distinction est ici motivée par la nature des mesures : alors que la libération d’avoirs peut produire des effets irréversibles, la non-transmission de renseignements fiscaux ne prive pas l’État requérant de la possibilité d’une requête ultérieure.
Rédigé par Maxime Guffon